Discours de mémoire - cérémonie du 10 août 2021
Comme chaque année, élus, anciens combattants, habitants ont participé à la cérémonie du 10 août, afin de rendre hommage aux 5 membres de l'opération Sussex fusillés par la barbarie nazie dans la carrière de Nioche. La Nouvelle République revient ici sur l'événement.
Monsieur Christophe Marion, Maire de Saint-Ouen, a prononcé le discours de mémoire suivant (seul le prononcé fait foi).
Monsieur le Député de Loir-et-Cher,
Monsieur le Sénateur de Loir-et-Cher,
Madame la Vice-présidente du Conseil départemental de Loir-et-Cher représentant le Président,
Monsieur le Maire de Vendôme, Président de la Communauté d'agglomération Territoires vendômois,
Monsieur le Maire de Saint-Jean-Froidmentel,
Mesdames et messieurs les Maires ou adjoints représentant des maires,
Monsieur le Maire honoraire de Saint-Ouen,
Mesdames et messieurs les élus, les représentants des autorités civiles et militaires,
Messieurs les anciens combattants,
Mesdames,
Messieurs, chers amis,
Vous n'avez
réclamé la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans
Voici les premiers mots des « strophes pour se souvenir », poème écrit par Louis Aragon en l'honneur des FTP-MOI du groupe Manouchian, fusillés au Mont Valérien le 21 février 1944.
Se souvenir... C'est la raison pour laquelle nous sommes réunis aujourd'hui.
- Se souvenir du 10 août 1944 et de ceux qui, au nom de la chère Patrie, consentirent au sacrifice suprême.
- Se souvenir de ces héros du plan Sussex que nous honorons en cet instant, fidèlement depuis 1945 : Evelyne Clopet, Marcel Biscaïno, Aristide Crocq, Roger Fosser et André Noël.
Morts pour la France, assassinés au nom de l'idéologie nazie au petit matin du 10 août 1944, après leur arrestation la veille à Lavardin.
Les barbares voulaient les tuer, ils les ont rendus immortels.
Le vent passe sur les tombes
La liberté reviendra
On nous oubliera
Nous rentrerons dans l'ombre
Non, enfants chéris de la France, fauchés à l'aurore de votre vie. Non, votre destin n'est pas et ne sera jamais de rentrer dans l'ombre, vous qui cherchâtes pourtant une partie de votre existence à vous fondre dans la nuit.
Vous qui constituâtes les glorieux fantassins de cette armée secrète que Joseph Kessel popularisait depuis son exil londonien en écrivant dès 1943 son célèbre roman « l'armée des ombres » devenu symbole de la résistance ; symbole de ces Français qui voulaient mourir en hommes et en femmes libres.
Loin de la pénombre, vous êtes désormais dans la lumière. Pas seulement d'ailleurs baignés par les rayons du chaud soleil d'été, le 10 août de chaque année.
Mais dans la pâleur de l'automne, chaque 11 novembre aussi ; ou dans la douceur des 8 mai, lorsque nous venons, tels des pèlerins reconnaissants, nous recueillir ici, devant cette stèle. Tous ces jours qui sont autant de grains d'un chapelet national que nous faisons passer entre nos doigts, murmurant une prière tantôt laïque, tantôt religieuse, en l'honneur de la gloire des héros que nous avons perdus.
Ainsi, plusieurs fois dans l'année... Élus, anciens combattants, porte-drapeaux, enfants accompagnés de leurs parents ou de leurs enseignants. Habitants anonymes... Ces derniers fleurissant d'ailleurs souvent le mémorial hors de de toute commémoration...
Tous... Nous venons vous dire que vous êtes désormais lumière.
L'étincelle jaillissante d'une résistance qui toujours se conjugue au présent.
Le feu sacré qui, à l'instar du Prytanée des cités grecques antiques, sans cesse se consume sans jamais s'éteindre...
Et c'est auprès de cette flamme immortelle dont vous êtes désormais et pour toujours les gardiens vigilants que nous venons ici réchauffer nos cœurs.
C'est auprès d'elle que nous venons fortifier nos esprits ; trouver le réconfort, la consolation et peut-être aussi chercher une parcelle du courage que vous nous avez légué. Celui qui vous conduisit à donner votre vie pour les idéaux de la République.
Le courage dont nous avons tant besoin aujourd'hui pour ne pas céder aux sirènes du populisme ou de l'individualisme forcené.
Le courage dont Jean Jaurès disait qu'il permettait "d'agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l'univers profond, ni s'il lui réserve une récompense".
Nul doute... Vous n'attendiez pas de récompense lorsque vous avez rejoint les équipes Sussex pour libérer notre pays. Vous n'aspiriez qu'à accomplir votre devoir de Français ayant compris mieux que quiconque les propos de Renan, pour qui la Nation reposait sur les sacrifices qu'on a faits et ceux qu'on est disposé à faire encore.
Comme je suis fier de vous et de votre sacrifice...
Mais sommes-nous aujourd'hui dignes de votre abnégation ? Je n'en suis pas certain, lorsque j'entends certains de mes compatriotes (et même plusieurs élus de la République) asséner (ou laisser dire) que nous vivrions aujourd'hui dans une dictature aux mains d'un tyran ... Osant même parfois comparer les décisions de nos gouvernants aux pires atrocités commises par le IIIe Reich.
De quoi parlent-ils, ces enfants gâtés du XXIe siècle, qui s'autoproclament résistants sans mesurer ce que cette imposture peut avoir de sacrilège ? Que connaissent-ils des tyrannies ? Que savent-ils des affres de la guerre, de la torture ou de la privation réelle de libertés ? Qu'ont-ils connu de la peur, de la faim, de la clandestinité ?
Et surtout, que font-ils du respect que l'on vous doit, à vous qui avez résisté à un régime totalitaire jusqu'au sacrifice ultime ?
- Du respect dû à Guy Môquet et aux 26 autres otages qui chantèrent la Marseillaise devant les mitraillettes des 90 SS du peloton d'exécution.
- Du respect dû à ceux qui furent frappés, jusqu'à l'éclatement des organes ; à ceux qui, comme Jean Moulin atteignirent les limites de la souffrance humaine sans jamais trahir un seul secret, eux qui les savaient tous.
Alors oui... Devant cette stèle. Devant vous, héros de la Résistance, devant vous aussi, anciens combattants qui défendirent la France sur de multiples théâtres d'opérations, je vous demande humblement pardon pour la bêtise de certains de mes semblables.
Pardon pour les bavards et les bravaches dont les actes d'héroïsme se résument bien souvent à vomir la haine et le mensonge sur les réseaux sociaux.
Pardon pour ceux qui confondent liberté et individualisme forcené ;
Pardon pour ceux qui méconnaissent (ou pire instrumentalisent) l'histoire ;
Pardon pour ceux qui, par cynisme ou par calcul, s'attachent à diviser notre Nation, à souffler sur les braises de la colère, de l'égoïsme ou de l'ignorance, alors que les périls extérieurs dans un monde incertain ne cessent de réclamer notre unité.
L'unité de notre Nation, elle est là pourtant. Dans votre parcours ; dans cette communion que nous célébrons ici et maintenant en souvenir des morts héroïques qui doivent nous servir d'exemple.
L'unité de notre Nation, elle est dans cette fidélité, que nous exprimons chaque année depuis 1945.
11 novembre, 8 mai, 14 juillet... L'unité de la nation est dans ces jours (et bien d'autres encore) qui forment le calendrier patriotique de sang, de larmes et d'espérance vivant dans le cœur et la mémoire de chaque Français.
Mais elle s'exprime également, cette unité, par l'attention que nous portons aux vivants ; par l'amour que nous témoignons aux familles et aux proches qui survécurent et continuent de porter le deuil.
Car je voudrais conclure, Chamonet, Ferrière, Dutal, Girard, Maurin, en vous disant que nous pensons, aujourd'hui, à vos familles. A leur douleur de ne pas savoir les détails des circonstances de votre exécution (hormis ce qu'en dit dans son rapport André Rigot, le sixième membre de l'équipe, qui avait réussi à s'échapper après l'arrestation de Lavardin).
A leur douleur de ne pas connaître vos dernières pensées. A leur douleur de ne jamais avoir reçu une lettre écrite de vos mains, dans les derniers instants...
Henri Fertet, un jeune homme de 16 ans, fusillé par les Allemands en 1943 eut, lui, le temps d'écrire. Puisse sa lettre apporter ou avoir apporté un peu de consolation aux proches, aux amis, aux familles, aux parents de ceux qui se sont sacrifiés.
Puisse-t-il être la voix de tous ceux qui n'ont pas pu écrire. De tous ceux qui, dans le silence de la mort approchant, dans l'attente de l'assassinat, avaient pourtant tant de chose à dire à ceux qu'ils adoraient.
Il me plait d'imaginer que les mots de Fertet auraient pu être les vôtres.
Chers parents, ma lettre va vous causer une grande peine.
Vous ne pouvez savoir ce que moralement j'ai souffert dans ma cellule, [ce] que j'ai souffert de ne plus vous voir [...] pendant ces quatre-vingt-sept jours de cellule, votre amour m'a manqué plus que vos colis et, souvent, je vous ai demandé de me pardonner le mal que je vous ai fait [...] Avant, je vous aimais par routine plutôt mais, maintenant, je comprends tout ce que vous avez fait pour moi. Je crois être arrivé au vrai amour filial [...]
Je meurs pour ma patrie, je veux une France libre et des Français heureux, non pas une France orgueilleuse et première Nation du monde, mais une France travailleuse, laborieuse et honnête. [...]
Pour moi, ne vous faites pas de soucis, je garde mon courage et ma belle humeur jusqu'au bout et je chanterai "Sambre et Meuse" parce que c'est toi, ma chère petite maman, qui me l'a appris [...]
Les soldats viennent me chercher. Je hâte le pas. Mon écriture est peut-être tremblée, mais c'est parce que j'ai un petit crayon. Je n'ai pas peur de la mort, j'ai la conscience tellement tranquille.
Papa, je t'en supplie, prie, songe que si je meurs, c'est pour mon bien. Quelle mort sera plus honorable ? Je meurs volontairement pour ma patrie. Nous nous retrouverons bientôt tous les 4 au ciel. [...]
Adieu, la mort m'appelle, je ne veux ni bandeau ni être attaché. Je vous embrasse tous. C'est dur quand même de mourir. Mille baisers.
Vive la France.
Voilà, Mesdames, Messieurs... Voilà ce qu'est un résistant.